Panique à la salle des machines

29 04 2019
Partager l'article

Mon cher lecteur,
 
Au mois d’avril, je vous écrivais une lettre intitulée «  Panique à la salle des machines » dans laquelle j’expliquais pourquoi :
 
« La Fed va devoir abaisser le taux des réserves en excès (IOER)… Ce qu’elle n’a pas fait depuis 2009, éventuellement réinjecter des liquidités sur les marchés, ce qui serait un camouflet. » 
 
C’est effectivement ce qu’a fait la Fed le 1er août en abaissant son taux de 2,35% à 2,1%.
 
Cette baisse a été totalement inefficace et le problème que je soulevais en avril perdure aujourd’hui malgré la baisse de la Fed, trop peu, trop tard (l’IOER et l’EFF sont encore inversés).
 
C’est un signal IMPORTANT pour nous : La Fed va devoir encore baisser ses taux et sans tarder. Et plus les taux baissent, plus l’or monte.
 
Cette hausse de l’or N’est PAS conjoncturelle, ce sont les fondations mêmes de la finance mondiale qui vacillent. 
 
 
Je reproduis ci-dessous l’article du mois d’avril, il est technique malgré un gros travail de vulgarisation… Mais si c’était simple, nous ne serions pas encore  à nous debattre, 10 ans après une crise dont nous ne sommes jamais sortis.
 
À votre bonne fortune,
 
Guy de La Fortelle
 

Panique à la salle des machines

Mon cher lecteur,
 
Catastrophe, l’EFFR s’installe durablement au-dessus de l’IOER. À trop durer, cela pousserait les DIs les plus fragiles vers le Discount Window Borrowing, créant un risque de panique bancaire et un effondrement du marché REPO.
 
Allez, à votre bonne fortune et à demain…
 
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de visiter le plus gros porte-conteneurs du monde (à l’époque), un bateau long comme 4 terrains de football, plus grand que l’Empire State Building : un monstre.
 
CMA CGM Fidelio
 
Pour faire avancer ce bébé de 100 000 tonnes vous avez besoin de ce que l’on appelle un moteur cathédrale.
 
Un moteur cathédrale, c’est comme un moteur de voiture, en plus gros :
 
moteur cathedrale
 
Quand votre voiture ronronne à 2 000 tours minutes, lui dépasse rarement les 100 tours… De l’heure. Il faut dire qu’un seul piston de ce moteur pèse plusieurs tonnes et fait la taille de deux personnes.
 
Mais sur le principe cela fonctionne comme un moteur diesel : c’est normal, c’en est un, simplement très gros, monstrueusement gros.
 
Sur le papier cela marche très bien, dans la réalité c’est un enfer.
 
Il fallait voir les têtes du chef mécanicien et du capitaine pendant la visite. Et pourtant c’est fier un marin. Mais là c’était trop. Il fuyait de partout ce moteur. Il ne faisait rien comme il devait. Dès qu’ils réparaient une panne ici, elle reparaissait là. C’était un sursis permanent selon les mots du capitaine. Ce n’était pas ce moteur en particulier, c’était sa taille… Ce qui marchait à la taille d’une voiture ne marchait plus pour un monstre des mers.
 

Personne ne maîtrise le coeur de la finance mondiale

La finance mondiale, c’est pareil, à un costume près : c’est trop gros pour fonctionner correctement. Dans le fond, il s’agit d’un gros machin lancé à pleine bourre, que quelques personnes, peu nombreuses, bidouillent en permanence avec d’infinie précautions sans trop savoir ce qui va se passer.
 
Attention, je ne dis pas que nos banquiers sont incompétents. Vous trouvez la crème des mécanos sur le plus gros porte-conteneurs du monde et vous trouvez des cerveaux brillants et efficaces dans nos grandes banques centrales et commerciales : mais ils sont face à une machine qu’ils ne maîtrisent pas.
 
Depuis un mois, il se passe, au cœur du moteur de la finance mondiale, quelque chose qui ne devrait pas se passer, quelque chose d’inquiétant.
 
Les commandes du monstre, lancé à pleine vitesse, déjà en surrégime, ne répondent plus.
 
Ce n’est pas encore le Titanic, mais ce n’est déjà plus La Croisière s’amuse.
 

L’angoisse à bas bruit des marchés interbancaires

Les banques se prêtent trop chères entre elles… Le marché interbancaire est en train de se gripper. C’est comme cela que s’était effondré Lehman Brothers. Les fantômes du passé ne sont jamais loin.
 
Pour mémoire, les banques doivent déposer des réserves auprès de la banque centrale afin d’assurer leur solvabilité. Tous les jours les banques qui ont des réserves en excès les prêtent à celles qui en manquent afin d’équilibrer les bilans. La Fed publie chaque jour le taux effectif moyen du refinancement de ces réserves, il s’agit de l’ EFFR, Effective Fed Funds Rate : c’est cet indicateur qui est trop élevé.
 
C’est un sujet sensible car si les banques ne se prêtent pas assez cher, vous incitez aux dérives, aux bulles, à la surchauffe. Vous êtes au coeur du pilotage de la Fed et de ses mécanismes de transmisison.
 
À partir de 2008, la Fed, suivie des autres banques centrales, s’est mise à distribuer de l’argent aux banques de manière astronomique via les fameux QE. L’offre était telle que les taux interbancaires auraient dû s’installer durablement à 0 voire en territoire négatif, privant la Fed de son volant de pilotage le plus efficace.
 
Aussi, dès 2008, la Fed s’est mise à rémunérer les réserves bancaires en excès (IOER : Interest On Excess Reserve) c’est-à-dire que les banques avaient tout d’un coup intérêt à conserver leurs liquidités à la Fed au-delà des réserves obligatoires.
 

La Fed est en train de perdre le contrôle du marché interbancaire

Cette mesure fut très efficace pour piéger une partie des liquidités dans le bilan de la Fed et ainsi éviter de perdre le contrôle du marché interbancaire. À peine avaient-ils desserré un boulon ici qu’ils en resserraient un autre là. Notez que nous n’avons pas été en mesure de faire pareil en Europe. La Fed a une certaine marge de manœvre, la BCE n’en a aucune.
 
Aujourd’hui les banques touchent 2,4 % de la Fed sur leurs réserves en excès (IOER) alors que le taux interbancaire EFFR est à 2,44 %. La différence semble ténue, mais nous sommes sur des réglages très fins et c’est une différence qui ne devrait pas exister sur le papier.
 
En théorie, les banques devraient retirer leurs excès pour les prêter sur le marché interbancaire au taux plus attractif et ainsi faire baisser l’EFFR.
 
Ajoutez à cela que tous les organismes déposants leurs réserves à la Fed (DI : Depository Institution) ne sont pas éligibles à l’IOER et vous vous retrouvez dans une situation où le taux interbancaire EFRR doit, par construction, être systématiquement en dessous du taux des réserves en excès IOER.
 
Il n’est pas normal que les banques se prêtent à 2,44 % entre elles alors qu’elles ont 1 500 milliards d’excédents à la Fed qui sous-performent.
 
Eh ! cela vous concerne cher lecteur . Les marchés interbancaires sont la source de la grande cascade du crédit et influent directement sur :
  • le taux de votre crédit immobilier,
  • celui des entreprises,
  • le coût de la dette publique,
  • la rémunération de votre assurance vie et
  • de votre épargne en général,
  • sur les cours de Bourses
 

Le grand horloger et ses prêtres

Le marché interbancaire, c’est la fiction du Grand Horloger, c’est comme si vous ouvriez un Turc mécanique géant, cette arnaque célèbre du baron von Kempelen, qui exhiba à la fin du XVIIIe siècle un joueur d’échec mécanique à l’intérieur duquel se cachait un joueur bien vivant (dans le caisson à droite dans l’image ci-dessous) :
 
 
Napoléon, Catherine II et Benjamin Franklin jouèrent contre le Turc mécanique et se firent berner avant que l’arnaque soit finalement révélée en 1820, après 50 ans…
 
Il y a quelque chose qui cloche au cœur du réacteur. Les rouages ne fonctionnent pas comme ils devraient, les engrenages sautent… Il y a une raison qui incite les banques à garder leurs dollars à la Fed plutôt que de se les prêter entre elles. Il y a quelque part un problème de liquidités. Le dollar se fait trop rare alors même que les banques ont encore 1 500 milliards d’excès à la Fed.
 
Il y a un excès théorique mais en pratique, c’est une pénurie.
 
Il y a comme un changement fondamental dans le cœur qu’est le financement interbancaire : au lieu de se prêter entre elles, les banques préfèrent préfèrent désormais placer leurs liquidités auprès de la Fed comme si elles anticipaient un régime entièrement administré par la Fedcontre l’avis de cette dernière.
 
Il est probable que la Fed connaisse cette raison. Cela expliquerait le retournement qui s’est opéré dans la politique monétaire à la fin de l’année dernière. Mais cela veut également dire que la Fed a sous-estimé la gravité de la crise et que les annonces de décembre et de janvier n’ont pas suffi à corriger le problème : la Fed de Jerome Powell est aux manettes d’une machine qu’elle ne maîtrise pas.
 
Afin d’éviter la contagion, la Fed va devoir abaisser le taux des réserves en excès (IOER)… Ce qu’elle n’a pas fait depuis 2009, éventuellement réinjecter des liquidités sur les marchés, ce qui serait un camouflet.
 
C’est en tout cas un signe que l’économie américaine ne va pas si bien qu’on dit, loin de là, que l’embellit boursière pourrait être bien plus courte que prévu.
 
Une décennie n’a pas suffi à solder la crise de 2008. La prochaine n’y parviendra pas plus.
À long terme, les marchés financiers sont toxiques.
 
 
À votre bonne fortune,
 
Guy de La Fortelle
PS : Si vous me lisez régulièrement, vous savez que le contenu de ce service d’information est inédit. Les analyses et informations que vous y lisez NE se trouvent PAS dans les médias grand public, ni les spécialisés d’ailleurs. Alors n’hésitez pas, diffusez ! Partagez cette lettre sur les réseaux grâce aux boutons en haut et en bas de ce message, transférez-là à votre carnet d’adresse.
 
PPS : Avant de vous laisser, je me dois encore de vous traduire mon bonbon introductif :
 
L’EFFR s’installe durablement au-dessus de l’IOER. À trop durer, cela va pousser les DIs les plus fragiles vers le Discount Window Borrowing, créant un risque de panique bancaire et un effondrement du marché REPO.
 
Le taux interbancaire s’installe durablement au-dessus de la limite fixée par la Fed. Si cela dure trop, les banques les plus fragiles ne pourront pas se refinancer seules et devront solliciter l’aide de la Fed créant un climat de panique risquant de paralyser le marché interbancaire… Comme en 2008.
 
PPPS : Pour ceux qui veulent aller plus loin, voici une sélection d’articles (essentiellement en anglais) :
 
 
 
 
 
 
 

Partager l'article