Ma chère lectrice, mon cher lecteur,
Je vous écrivais hier que les charges de notre dette indexée sur l’inflation étaient factuellement renvoyées hors bilan : On les écrit dans le bilan, on les neutralise avec une charge négative du même montant dans la catégorie « autres charges »… Et on oublie.
C’est le pire des deux mondes : En regardant les comptes de l’État, on croit avoir payé, mais en fait on n’a rien payé de ces charges d’indexation à l’échéance qui s’élèvent à 27 milliards fin 2021 et qui explosent de 15 milliards de plus en 2022, soit 42 milliards d’une ligne particulièrement dynamique.
Cela a réveillé chez vous un intérêt pour cette obscure et fameuse dette hors bilan de l’État. Aussi, je vous renvois ci-dessous un vieux papier de 2017 que j’avais commis sur le sujet… Il n’y en avait à l’époque « que » pour 3 500 milliards. 5 ans plus tard la facture atteint 5 000 milliards, somme vertigineuse qu’il convient d’expliquer un peu :
L’État renvoie en dehors de son bilan deux types de charges :
Le hors bilan conditionnel
Des charges conditionnelles : L’État prend une quantité astronomique d’engagements « au cas où ».
Les fameux Prêts Garantis par l’État sont typiquement de la dette hors-bilan. Si tout va bien, il n’y aura rien à payer.
La garantie de dépôts et livret d’épargne, la contribution de la France au Mécanisme de Stabilité Européen, la faillite de Dexia (eh oui encore en 2022), la garantie donnée à la Banque Publique d’Investissement et à divers organismes : Voilà quelques exemples de la liste à la Prévert des engagements conditionnels de l’État.
Bien évidemment, ces charges conditionnelles se matérialisent parfois… Et ce que la pudeur de nos comptables publics repousse loin du regard revient finalement plomber un peu plus le bilan de l’État. C’est ainsi que la dette de la SNCF qui était garantie par l’État en dehors de son bilan et revenue dedans plombant nos finances de 25 Mds en 2020.
Bien sûr, si nous gérions nos comptes convenablement, nous ferions des provisions pour ces charges conditionnelles… Mais non.
Le hors bilan irrévocable
Des charges irrévocables, mais que l’on ne sait pas calculer à l’avance : J’aime bien prendre l’exemple du démantèlement du Charles de Gaulle, qu’il nous faudra bien traiter en 2040 mais dont il est difficile de savoir combien il nous en coûtera ; Mais le gros de notre hors-bilan irrévocable est constitué des retraites des fonctionnaires et des régimes spéciaux.
Au nominal, il y en a pour 3 000 milliards d’engagements de retraites mais ce chiffre ne veut pas dire grand chose. En effet, c’est la différence entre les engagements pris aujourd’hui pour les retraites futures de nos fonctionnaires (ces 3 000 milliards) et les primes qui seront versées par les cotisants à l’avenir qui constitue la charge réelle. Cela dépend d’un taux d’actualisation fort compliqué à évaluer. Notez que l’inflation est favorable à cette charge hors bilan : C’est-à-dire que l’inflation rogne la retraite réelle des fonctionnaires (et des autres).
En comptabilité internationale, les engagements de retraite n’ont rien à faire en dehors du bilan, mais je me suis rendu compte récemment que si nous abusons du hors bilan en France, nous sommes loin d’être les seuls à renvoyer le problème des retraites de nos fonctionnaires aux calendes : Les Belges, les Allemands, les Irlandais et d’autres pays européens font pareil.
La dette indexée dans les limbes comptables
Bien évidemment, les 42 milliards de surcharge de notre dette indexée n’ont rien à faire en dehors du bilan : Cet engagement se calcule très bien et il est irrévocable.
Il n’apparait d’ailleurs pas dans les engagements reconnus par l’État en dehors de sn bilan. Ils font parties de limbes comptables avec bien d’autres surprises exhumées au fil du bon vouloir de nos comptables, avec l’aide parfois de quelques aiguillons.
5 000 milliards de hors bilan au nominal, 1500 milliards sans doute à décaisser
Au total, la France reconnaît 5 000 milliards d’engagements hors bilan qui sont détaillés chaque année dans les Comptes généraux de l’État (page 5 des comptes 2021).
Cette liste à la Prévert donne une sorte de tournis : Cela dégorge et dégueule de partout.
Nous avons déjà évoqué :
- Les Prêts Garantis par l’État,
- Dexia,
- Les garanties des dépôts,
- Le Mécanisme Européen de Stabilité,
- Les retraites des fonctionnaires,
- Le démantèlement du Charles de Gaulle,
- La garantie de la Banque Publique d’Investissement…
Mais on trouve encore des bizarreries comme :
- Le Plan France Très Haut Débit, que l’on a « oublié » de financer ;
- Plus grave, on a aussi « oublié » de financer les surcoûts résultant des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables ;
- On trouve aussi les garanties aux banques de développement,
- Les Investissements d’Avenir,
- Le Plan de Relance Européen (encore une ligne qui n’a rien à y faire),
- Les déficits reportables de l’impôt sur les sociétés
Entre les engagements conditionnels et la difficulté à comptabiliser les engagements irrévocables, nous pouvons estimer grossièrement à 1 500 milliards les sommes que nous sommes raisonnablement susceptibles de payer un jour.
Le hors bilan agit comme un amplificateur de crises
Ce poids mort du hors bilan pose enfin un dernier problème : En cas de crise, il explose et fait peser un poids de moins en moins soutenable sur les épaules de plus en plus fragiles de l’État. Il s’agit d’une bombe à retardement qui gonfle chaque année et menace d’exploser plus durement.
En effet, si l’on regarde chaque ligne du hors-bilan indépendamment, on peut espérer que l’on arrivera à faire face… Mais « les emmerdes, ça vole toujours en escadrilles » et pris dans leur ensembles les enagements hors bilan sont délirants. Et le mot est faible.
Je vous rappelle que fin 2021, l’État est encore engagé de 22 milliards pour la faillite de Dexia que vous avez sans doute largement oubliée. En cas de nouvelle crise financière, cette facture viendrait allonger toutes les autres.
C’est sans doute le plus grave dans notre hors bilan, il agit comme un bras de levier sur notre dette : Quand tout va mal, la facture s’envole de manière incontrôlée.
Je reproduis ci-dessous l’article de 2017 qui complète le papier d’aujourd’hui.
J’espère que cela est plus clair désormais.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle
Le Hors Bilan c’est comme le démantèlement du Charles de Gaulle
Regardez ce beau gaillard :
Voici le Charles de Gaulle, navire amiral de la flotte Française, porte-avions à propulsion nucléaire, plus gros bâtiment militaire d’Europe, fleuron de notre armée.
260 mètres de long, 65 de large. Il est haut comme un immeuble de 25 étages et embarque 2 000 hommes d’équipage, 40 avions et hélicoptères et 20 tonnes de farine rien que pour cuire le pain.
Ce beau bébé de 42 000 tonnes avance à 50 km/h (27 noeuds) et n’a besoin de faire le plein de carburant (nucléaire) qu’une fois… tous les 7 ans 1/2.
Quand le Charles de Gaulle arrivera à une retraite bien méritée vers 2040… Il faudra bien en faire quelque chose :
- le vider de ses équipements ;
- recycler ses matériaux polluants ;
- en particulier l’usine nucléaire qui lui sert de moteur et enfin
- trouver une bonne âme qui accepte de récupérer et traiter sa carcasse.
Bien sûr, on pourrait faire comme les Américains et couler le bébé radioactif par 10 000 mètres de fond. Ce n’est pas la méthode française.
Pour mémoire, la carcasse du Clémenceau devait être démantelée en Espagne… On le retrouve pourtant au large de l’Italie en route pour la Turquie. Puis c’est en Inde qu’on convoie la coque remplie de 1000 tonnes d’amiante. Le passage du canal de Suez coûte 2,5 millions d’euros. Mais l’Inde change d’avis et refuse l’encombrant fardeau… qui revient à Brest (encore 4,5 millions d’euros le voyage). C’est finalement le Royaume-Uni qui s’occupera de la dépollution et du démantèlement après force discussions, décisions de justice et manifestations.
Cela aura pris 10 ans pour un navire « conventionnel » : le Charles de Gaulle, lui, est à énergie nucléaire.
Combien coûtera le démantèlement du Charles de Gaulle, personne ne le sait.
Ce qui est sûr, c’est que personne n’a provisionné le moindre centime pour l’opération. Ils s’en débrouilleront bien en 2040.
Dans une entreprise privée, on prévoit, on alimente une caisse, un peu tous les ans afin de ne pas être pris de court.
Mais l’État n’est pas une entreprise. L’État ne prévoit pas la retraite de l’auguste bâtiment, ni celle de ses fonctionnaires de même que de nombreux engagements et garanties qui sont donnés sans être comptabilisés.
L’État s’engage sans compter, c’est ce que l’on appelle le « hors-bilan ».
La Cour des Comptes estime que les engagements hors-bilan de l’État « avoisinent les 3 500 milliards d’euros ».
Mais en fait cela ne veut pas dire grand chose car de l’aveu même de la Cour, il n’existe pas de recensement complet des engagements de l’État. 3 500 milliards c’est ce que l’on voit mais l’on n’a pas ouvert les placards ni soulevé les tapis : il doit y avoir encore beaucoup de poussières et de cadavres.
Il faut ensuite distinguer deux formes d’engagements :
- Ceux où l’État sait qu’il va payer, c’est-à-dire essentiellement les retraites des fonctionnaires dont on commence à peine à sentir le fardeau des 1700 milliards d’euros auxquels il faut encore ajouter 500 milliards d’euros d’allocations (essentiellement le renflouement des retraites des « régimes spéciaux » de la SNCF et RATP ainsi que les aides au logement) qui seront prélevés sur le budget de l’État ;
- Les engagements « au cas où » : c’est-à-dire les dépôts ou l’épargne garantis par l’État en cas de faillite, incluant probablement une bonne partie de votre épargne mais aussi les milliards de prêts accordés à la Grèce via le Mécanisme Européen de Stabilité.
Parmi tous ces engagements de l’État, le cas du Charles de Gaulle n’est qu’une goutte.
Mais l’exemple est représentatif : le hors-bilan, c’est comme le démantèlement du Charles de Gaulle.
On sait que cela va arriver mais :
- On ne s’y prépare pas ;
- On ne sait pas bien combien cela va coûter ;
- Ni comment on va payer.
Pour preuve, la Cour des Comptes a calculé que les engagements hors-bilan de l’État ont été multipliés par 2 en 5 ans.
Pourquoi ?
1 – On avait mal compté le coût des retraites des fonctionnaires
2 – Face à la crise l’État a multiplié les engagements auprès de pays et entreprises en difficultés.
S’il y a une chose à retenir du hors bilan de l’État c’est que vos dépôts et épargnes garantis — vos comptes courants à hauteur de 100 000€, vos assurances vie à hauteur de 70 000€ ou vos livrets d’épargne— sont noyés parmi ces 3 500 milliards d’engagements : en cas de crise, ou de faillite bancaire, l’État n’aura absolument pas les moyens d’honorer sa garantie.
Cela permet aussi de comprendre pourquoi Bruxelles refuse obstinément d’alléger la dette de la Grèce : cela impliquerait pour les autres États de la zone Euro de passer des pertes importantes dans leurs comptes.
De manière plus générale, ce n’est pas en mentant effrontément sur la situation réelle de notre économie que nous règlerons quoi que ce soit.
En revanche nous pourrions trouver des forces et une énergie insoupçonnés si nous parvenions à sortir du déni et à regarder la réalité en face.
La France, depuis 2000 ans, a connu bien des crises et bien des guerres mais aussi bien des rétablissements.
N’oublions pas qu’en 1945, à l’aube des « 30 glorieuses », les dirigeants européens s’attendaient à une réplique survitaminée de la crise de 1929 causée par la démobilisation de millions d’hommes…
Sources :
L’interview de M. Villeroy de Galhau: https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-13-fevrier-2017
Je m’appelle Guy de La Fortelle et je rédige le service d’information GRATUIT et INDÉPENDANT : L’Investisseur sans Costume.
À partir d’aujourd’hui, je vais vous dire tous les secrets de l’économie et de la finance que les médias grands publics « oublient ».
J’ai écrit un article complet sur Le Hors-Bilan, c’est comme le démantèlement du Charles du Gaulle…
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À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle