Morale en plastique pour profits en papier : comment l’investissement boursier est devenu immoral

17 12 2019
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Mon cher lecteur,
 
Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.
 
Je vous disais hier que le CAC40 battait des records avec les autres indices mondiaux, passant enfin la barre des 6 000 points après 12 ans et affichant une performance « solide » de 21% sur un an.
 
Je note « solide » entre guillemets car cette performance est tout sauf solide, elle est surgonflée à la dette et pleine de fuites.
 
Car il a fallu déverser un Himalaya de dettes pour atteindre ces sommets qui ne font plus figure que de modestes collines au regard des forces telluriques en présence.
 
Les records de création de crédit sont en train d’être battus, portés par toutes les grandes banques centrales en même temps : USA (+ 1 000 milliards de crédit au 3e trimestre !), Chine, UE, Japon… Tout le monde envoie la sauce monétaire en même temps.
 
Investir en actions aujourd’hui c’est espérer que cette orgie de fausse monnnaie ne cesse jamais.
 
Et malgré les turbines à billets lancées à plein régime, les actions n’ont même pas réussi à léviter au-dessus de l’or qui, lui, n’a besoin de l’aide de personne pour afficher des performances plus que solides, sans guillemets.
 
Cela devrait suffire à rayer les grands indices mondiaux de vos investissements et de manière générale, les actions, sauf exception qui confirme la règle.
 
Il nous faut pourtant bien pousser plus loin.
 
Cynisme et prudence
Je suis généralement amoral en matière d’investissements. Ce n’est pas du cynisme, c’est de la prudence.
 
Toute entreprise opère selon une raison sociale, c’est-à-dire qu’elle a été créée dans le but d’être utile à la société en plus de faire du profit, c’est-à-dire créer plus de valeur qu’elle n’en consomme.
 
Toute entreprise est constituée de personnes pas tellement meilleures ni pires que moi-même, ces personnes font généralement de leur mieux dans un environnement contraint, dans le cadre de réglementations et contrôles, sous le regard de la presse, des concurrents, des syndicats…
 
Et de toute manière, il est incroyablement compliqué de juger sérieusement de l’éthique d’une entreprise ou d’une activité, d’autant que nous nous posons généralement la question d’un point de vue absolu alors qu’en pratique le choix est largement relatif.
 
Les bonbons Haribo sont-ils plus éthiques que les cigarettes Marlboro  ?
Les bonbons Haribo sont-ils une entreprise plus éthique que les cigarettes Philip Morris ? Toutes les grilles de l’investissement « socialement responsable » vous diront que oui et votre cœur d’enfant aussi sans doute… Pourtant l’addiction au sucre est devenue bien plus mortelle que celle au tabac.
 
Les hausses de taxes sur le tabac sont-elles morales alors qu’elles permettent au gouvernement ET aux cigarettiers de maintenir leurs rentrées fiscales d’un côté et chiffre d’affaires de l’autre ? Ne vaudrait-il pas mieux renationaliser les producteurs de tabac afin qu’au moins, les profits aillent au système de santé plutôt qu’à des actionnaires ?
 
Investir dans le cannabis thérapeutique est-il moral ? Et le récréatif ? La question mérite un examen minutieux.
 
L’énergie nucléaire est-elle morale ? Et comparée au charbon ? C’est la question à laquelle doivent répondre les Chinois en ce moment même.
 
Et les GAFA ? Est-il plus moral d’investir dans Facebook ou une banque que chez un dealer de drogue ?
 
Je ne cherche pas à allumer une salve de polémiques en 3 lignes, simplement souligner la difficulté de porter un jugement moral sur un investissement.
 
Pourtant c’est bien ce que j’entreprends de faire aujourd’hui, tardivement et avec réticence.
 
Il le faut bien.
 
Morale en plastique pour profits en papier
J’aurais aimé croire qu’une bonne part de la question morale était réglée de manière naturelle, collective et reflétée dans le prix même des actifs.
 
Elle ne l’est plus. Et cela m’attriste car il est particulièrement tentant pour quiconque s’érige en champion de moralité de confondre ce qui est immoral avec ce qui ne lui est pas immédiatement profitable.
 
Prenez Facebook ou Haribo, deux sociétés qui produisent de l’addiction en masse.
 
Faut-il qu’un service public (lequel ?) se penche sur le sujet et décide officiellement de la moralité de ces activités et de leur accès à des financements, question hautement polémique, ou bien faut-il laisser les clients, consommateurs et investisseurs décider par eux-mêmes ce qui est bon pour eux et accepter que la question morale soit, en partie, reflétée dans la valeur de ces entreprises ?
 
Quelle place pour la norme légale et quelle place pour la norme sociale, lente agrégation de la multitude de nos choix personnels ? En voilà une question de société.
 
Il se trouve qu’ils sont en train de répondre à cette question sans même vous l’avoir posée.
 
Les banques centrales ont faussé les prix et tout ce qu’ils signifiaient
Pour commencer l’environnement actuel interdit aux prix des actifs de porter une quelconque information, sans même parler de valeur morale, merci les banques centrales.
 
Tous les prix sont faussés par l’impression monétaire des banques centrales.
 
Lorsque la BCE favorise le crédit, nous avons tendance à croire que nous hypothéquons l’avenir à la faveur du présent. Mais cette vue est obsolète à partir du moment où nous savons que les dettes ne seront jamais remboursées (dois-je vous en convaincre ?).
 
Dans le cadre d’un crédit illimité sans perspective de remboursement, le crédit n’est plus une hypothèque sur l’avenir mais une hypothèque sur tous ceux qui n’ont pas accès au crédit.
 
Si j’emprunte 100€ aujourd’hui que je ne rembourserai jamais et qui ne me coûteront rien en intérêt, ces 100€ vont me permettre d’acheter quelque chose en plus par rapport à tous ceux qui n’ont pas accès à ce crédit. Je vais pouvoir mettre la main sur des actifs simplement parce que la BCE me prête à moi plutôt qu’à vous. Et peu importe la qualité ou la valeur utile et éthique de ces actifs, peu importe la qualité, c’est la quantité qui compte.
 
Les banques centrales sont largement responsables de la montée des inégalités et du niveau de la mer.
En investissant dans le CAC40 aujourd’hui, non seulement vous n’aidez pas des groupes qui n’ont certainement pas besoin de vous pour se financer, ils ont l’argent des banques centrales, mais en plus, vous espérez que la valeur de ces groupes va monter. Or cette valeur n’est plus définie que marginalement par leurs mérites, elle dépend essentiellement des politiques des banques centrales et de l’accès au crédit c’est-à-dire le creusement d’inégalités indues d’un côté et l’empilement d’actifs en masse de l’autre.
 
Investir en bourse aujourd’hui, c’est espérer le crédit infini, ce sale crédit qui prépare les guerres et la misère.
 
Tenez, faut-il investir dans Uber, d’un point de vue moral ? Une société comme Uber est-elle plus ou moins éthique que nos bons vieux chauffeurs de taxis ?
 
D’un côté, Uber permet d’allouer les ressources de taxis de manière bien plus efficace que les chauffeurs traditionnels. Dans un environnement de ressources contraintes et de sobriété, c’est bien. De l’autre, prendre les chauffeurs eux-mêmes pour des ressources à compresser au maximum les entraine dans la précarité et la misère.
 
Mais si nous commencions par fermer les robinets du crédit gratuit et qu’Uber devait se mettre en quête de rembourser ses dettes gargantuesques, nous n’aurions même pas besoin de nous poser cette question : ils feraient faillite ou tout du moins seraient contraints à une baisse de voilure drastique et seraient remplacés par d’autres systèmes qui finiraient par trouver l’équilibre moralement juste entre l’intérêt des chauffeurs, des investisseurs, celui des clients et plus largement celui de la société.
 
Tant qu’Uber peut opérer sur des montagnes inimaginables de dettes, la société s’approprie illégitimement des ressources, au dépend de tous les autres asphyxiés.
 
Les Uber, WeWork et toutes les autres startups surévaluées ne sont que la face émergée de l’iceberg des manipulations des banques centrales qui maintiennent artificiellement en vie des organisations hautement dysfonctionnelles au détriment de leurs concurrents, leurs secteurs et leurs environnements.
 
Les politiques des banques centrales ont non seulement fait exploser les inégalités mais en plus empêché la plupart des transformations tant recherchées, avec plus ou moins de raison, par les militants climatiques.
 
Et les bourses sont une courroie de transmission de ces dysfonctionnements.
 
Notez bien que ce ne sont pas les entreprises individuellement qui apparaissent immorales mais le cadre de formation des prix, de définition de la valeur et d’allocation de ressources rares.
 
Le problème est remonté au cœur du système depuis une décennie.
 
Les banques centrales s’arrogent et dénaturent une néo-souveraineté climatique
Ces mêmes banques centrales dysfonctionnelles qui ont empêché la transformation de nos économies et la circulation naturelle des richesses et du pouvoir, sont en train de s’arroger une sorte de souveraineté climatique en décidant d’intégrer des objectifs climatiques dans leur politique.
 
Intégrer des objectifs climatiques pour la BCE, c’est porter un jugement moral sur l’accès au crédit dans la Zone Euro.
 
C’est le droit de vie ou de mort sur les entreprises… donné à des technocrates non-élus, directement responsables de la déliquescence européenne actuelle.
 
C’est l’approfondissement de tous nos dysfonctionnements et de toutes nos inégalités indues, c’est une accélération dans la destruction de nos économies et plus largement de nos sociétés et paradoxalement de notre environnement.
 
Hier les bourses mondiales ont atteint des sommets. Achetez de l’or.
 
Achetez de l’or, pour ne pas être complice.
 
Achetez de l’or pour ne pas être piégé.
 
 
C’est tout ce que je vous souhaite, à votre bonne fortune,
 
Guy de la Fortelle


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