Quelle monnaie est la vôtre ? L’Euro c’est comme la fraise.

08 02 2020
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Une fraise, mon cher lecteur.
 
Une belle fraise.
 
Une fraise juteuse et sucrée.
 
Une fraise… Le soleil de juin, une forêt de sapins.
 
La sève monte, éclate en bourgeons enivrants, un ruisseau chante en contrebas. Il dégringole sur les pierres éblouissantes, chaudes comme l’eau est fraîche. Sur la rive escarpée, des buissons dansent parmi les taches de soleil à l’abri de la lumineuse pénombre. Ils cachent d’autres tâches, plus petites, rouges et gourmandes que recherche avidement le rire des enfants, de leurs doigts sucrés, le regard émerveillé.
 
Fermez les yeux un instant.
 
Votre respiration ralentit, le monde semble plus doux, votre cœur apaisé, la salive vous monte à la bouche. Vous avez une envie subite de fraise.
 
La puissance d’une évocation est presque infinie et les publicistes le savent bien.
 
Maintenant que je vous ai torturés de cette envie anachronique, sur laquelle de ces fraises de février allez-vous vous jeter  ? Vous avez le choix :
 
Quelle fraise choisissez vous ?
Rien de tout cela bien sûr, vous rêvez à la fraise sauvage, cette petite baie, si rare et si fragile, au goût extraordinaire et si bonne pour la santé :
 
Fraise sauvage
 
Mais faute de mieux, vous vous contenterez d’un pis-aller d’autant plus médiocre que l’évocation est puissante : la grosse fraise d’Espagne farineuse et fade, l’arôme « naturel » réalisé à partir de copeaux de bois ou même l’arôme de synthèse, sous-produit de la chimie du pétrole.
 
Fruit sauvage, ersatz de culture plasticoide, copeau de bois ou effluve de pétrole : voilà tout ce qu’il y a derrière le mot « fraise ».
 
Bien sûr, si je vous dis que « la fraise » est riche en vitamines C, A et B9, en potassium, cuivre et magnésium, qu’elle est antioxydante, participe à une bonne circulation sanguine et stimule le système nerveux, qu’elle est anti-inflammatoire et conseillée en cas d’ulcère ou d’inflammation buccale… Il s’agit uniquement de la fraise sauvage fraîche.
 
AUCUN des fruits que vous trouverez dans votre supermarché n’aura ces vertus. Et encore moins au mois de février, encore moins dans un yaourt ou un biscuit.
Pendant des centaines de milliers d’années, notre palais a évolué pour apprendre à reconnaître ce qui était bon pour nous.
 
Mais il n’aura pas fallu un siècle au génie humain pour réduire à néant cette lente accumulation de savoir si fondamental et précieux.
 
Corollaire immédiat : plus la production d’arômes, goûts et saveurs « fraise » augmente et envahit le monde, plus la fraise, la vraie, devient rare et précieuse…
Plus nous avons de fraises et moins nous avons les nutriments essentiels qui nous avaient fait reconnaître la fraise comme si goûtue et bonne pour nous.
 
Si vous voulez une bonne fraise, vous avez intérêt à la faire pousser vous-même, aller la chercher en pleine nature… Ou la payer une fortune. Je ne reconnais même plus les garriguettes de mon enfance que ma grand-mère nous servait avec des yeux aussi pétillants que les nôtres.
 
Là aussi, il n’aura pas fallu un siècle au génie humain pour que la fausse fraise chasse la vraie comme la mauvaise monnaie chasse la bonne.
 
Comme la mauvaise monnaie chasse la bonne.
 
Oh, je ne vous parle pas de fraises en février pour le plaisir vicieux de vous faire saliver en vain.
 
Remplacez fraise par euro et vous aurez une idée de ce qui se passe derrière le trésor de notre monnaie.
 
Il y a des euros et des euros exactement comme il y a des fraises et des fraises.
Nous sommes saturés de monnaie comme nous sommes saturés de mauvais arômes.
 
Mais si nous savons bien, au fond, faire la différence entre bons et mauvais fruits et produits de bouche en général, nous savons bien moins faire la différence entre toutes les formes de monnaie.
 
Car on nous fait croire qu’il n’y en a pas, exactement comme on vous faisait croire qu’il n’y avait pas de différence entre une fraise et un « goût fraise ».
 
La différence, c’est l’essentiel mais qui ne se voit pas, ce sont les nutriments d’un côté, un patrimoine mobilisable quand nous en avons le plus besoin de l’autre.
Les magiciens de la monnaie sont devenus experts pour vous faire passer un morceau de bois ou des effluves de pétrole pour un fruit délicieux… Cela en a les apparences, cela n’en a pas les vertus. Ne vous laissez pas tromper.
 
Que ne faut-il pas faire pour débusquer les artifices des grands prêtres de la monnaie.
 
Avant c’était plus facile, les mauvaises monnaies et les bonnes avaient des noms différents… Et encore. Mais de nos jours, elles portent le même nom, la même dénomination.
 
Il est d’autant plus important d’apprendre à les différencier.
 
J’entends ici monnaie au sens le plus large, c’est-à-dire tout actif qui entre dans la constitution d’un patrimoine : une cigarette en prison est une monnaie, un tirage original de bande dessinée achetée pour sa valeur de collection est une sorte de monnaie.
 
Une action est une monnaie de choix dans le système financier actuel par l’artifice des Repo.
 
Mais il y a actions et actions.
 
Il est plus que temps de prendre un exemple concret.
 
Il existe d’innombrables manières de détenir des actions.
 
Prenons une action LVMH.
 
L’action de Bernard Arnault n’a absolument pas la même valeur que la vôtre que vous pourriez détenir sur un compte titre.
 
Premièrement, Arnault a les clés, pas vous. C’est fondamental comme différence.
Si vous appelez un atelier de fabrication pour leur expliquer que vous venez le lendemain inspecter la confection des sacs à main (après tout, vous êtes copropriétaire puisque vous détenez une action LVMH), on vous rira au nez.
 
Bernard Arnault, lui, peut venir sans prévenir, inspecter les ateliers, demander les comptes, exiger tous les ajustements qu’il veut : il est chez lui. Il sait tout ce que vous ignorez sur le fonctionnement du groupe, sa valeur réelle, ses forces et ses faiblesses.
 
C’est lui qui décide à la fin de l’année quel argent distribuer aux actionnaires (lui donc) et quel argent réinvestir dans le groupe.
 
C’est lui qui parle aux pouvoirs publics pour défendre les intérêts de SON groupe qui fait du lobbying dans les couloirs du pouvoir.
 
Surtout, le jour où les cours dévissent, Bernard Arnault peut trouver à son avantage de retirer LVMH de la côte et racheter vos actions au plus bas : vous n’aurez pas votre mot à dire, il détient près des 2/3 des droits de vote.
 
Et encore, je vous parle de deux actions LVMH qui portent facialement des droits similaires, je ne vous parle même pas des LVMH que les investisseurs croient détenir dans leurs assurances vie, leurs ETFs ou tout autre véhicule qui fait « comme si » vous déteniez ces actions et vous donne le goût sans les nutriments, l’illusion sans la réalité.
 
Si LVMH perd 50 % de sa valeur demain, vous aurez perdu 50 % de votre patrimoine investi, mais Bernard Arnault, lui, contrôlera toujours des centaines de filiales, possédera des milliers de bâtiments, ateliers, pourra donner des instructions à des dizaines de milliers de salariés.
 
Le jour où les bourses dévissent de 50 %, Il n’aura pas perdu grand-chose de son pouvoir et qu’est-ce que cela change au fond que sa fortune soit estimée à 50 milliards plutôt que 100 ?
 
Vos actions boursières, elles, sont solubles dans la crise. Elles représentent un patrimoine fragile, virtuel que les banques centrales peuvent effacer à merci.
Pourquoi vous constituez-vous un patrimoine mon cher lecteur ?
 
C’est un peu la même question que : pourquoi mangez-vous des fraises ?
 
Parce que c’est bon, certes. Mais vous savez bien au fond que nous devons réconcilier nos sens et notre raison. Nous devons tous collectivement rééduquer nos sens à apprécier ce qui est bon pour nous à long terme, ce qui est productif, robuste et surtout, ce qui nous rend autonome et libre.
 
La liberté, la vraie, n’est pas un luxe de société occidentale décadente, c’est une nécessité, elle est vitale à la prospérité, à la survie même.
 
Hier, j’ai visité une boulangerie. Elle a été créée par 2 associés qui en avaient assez de ne pas avoir de bon pain dans leur ville. Ils font tout leur pain au levain naturel, en fermentation lente avec des farines de grande qualité, sans additif. Ils ont travaillé d’arrache-pied pour être capable de produire un pain de haute qualité au même prix que les autres boulangeries. En deux ans, ils ont ouvert 3 magasins. Les boulangers travaillent dans la bonne humeur, à la caisse, le vendeur connaît presque tous ses clients par leur prénom.
 
Aujourd’hui, je préfère de loin investir dans des PME comme celle-ci utiles, saines, qui créent de la valeur à long terme près de chez moi, que dans LVMH et toute la poudre aux yeux qui ne fait qu’en détruire, pour tout le monde sauf Arnault, en transformant un métier d’artisans hautement qualifiés en salariés à la chaîne aux produits standardisés.
 
Il y a bien d’autres exemples que nous allons explorer ces prochains jours : les différences de valeur entre des euros en banque ou en billets, entre différentes monnaies, les euros au cœur du système, les différents euros de votre retraite…
 
À votre bonne fortune.
 
Guy de La Fortelle


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