Vous connaissez pas Larry ?

02 01 2020
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J’ai écrit cette lettre il y a 2 ans déjà. Larry ? Il fait de nouveau parler de lui avec la réforme des retraites qui lui permet de convoiter une partie de votre épargne qui lui était jusqu’ici interdite.
 
Comme souligne Bruno Bertez aujourd’hui, les épargnants modèles que nous sommes en France sont convoités par les vautours américains de la grande finance. Pour eux, vous n’êtes qu’un relais de croissance. Pour eux tous les moyens sont bons, même les plus destructeurs.
 
C’était il y a deux ans et Larry venait d’écrire une lettre à tous les grands patrons de la planète. Au fait, vous connaissez pas Larry ?
 
Lette initialement publiée en janvier 2018.
 

 
Chère lectrice, cher lecteur,
 
Vous connaissez pas Larry ?
 
Larry Fink.
 
Il vient de faire une déclaration STUPÉFIANTE.
 
Mais avant il faut que je vous présente Larry.
 
Larry est le King à Wall Street.
 
Larry est aussi le faiseur de rois d’à peu près TOUTES plus grandes entreprises du monde occidental.
 
C’est beaucoup de pouvoir pour un seul homme.
 
J’exagère ? Continuez votre lecture.
 
Ceux qui le connaissent depuis longtemps le surnomment le Magicien d’Oz, celui qui tire les ficelles mais que l’on ne voit jamais.
 
Larry, n’est pas un rigolo. Je suis persuadé que c’est un homme charmant et bien intentionné mais sûrement pas un rigolo.
 
Il y a 30 ans, Larry a créé une entreprise ennuyeuse, une société de gestion d’actifs : des entreprises, fonds de pensions et des particuliers lui confient leur argent pour qu’il le fasse fructifier. Tous ces gens veulent prendre le moins de risque possible tout en espérant un bon rendement.
 
Pour un banquier, c’est un boulot pénible et peu gratifiant… Ils préfèrent de beaucoup être traders, faire de la fusion-acquisition ou du capital-risque. Cela présente mieux dans les dîners.
Il faut dire que Larry venait de faire perdre 100 millions de dollars à sa banque… C’était une sorte de punition.
 
Sauf que la petite entreprise de Larry s’appelait BlackRock et de rachats en fusion elle est devenue le plus gros gestionnaire d’actifs de la planète.
 
BlackRock gère directement 6 000 milliards de dollars et 9 000 milliards de manière indirecte via leur logiciel de gestion Aladdin En référence au génie de la lampe du conte des 1 001 nuits.
 
Oui, Larry se revendique explicitement de la sorcellerie et du génie de la lampe auquel il compare ses algorithmes qu’utilisent des milliers de gérants sans trop savoir ce qu’il y a derrière.
 
Au total cela fait 15 000 milliards de dollars sous la supervision directe ou indirecte de Larry…
 
C’est à peu près autant que le PIB des États-Unis.
Aussi lorsque la crise a éclaté en 2008, c’est vers Larry que tout Wall Street s’est tourné. Il était le seul avec la Fed à contrôler suffisamment d’argent pour pouvoir sauver le système. C’est lui qui a financé le rachat de la banque Bear Stearns par JP Morgan. C’est lui qui a orchestré le sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac, 2 vieux mammouths de l’assurance. Il a renfloué Citigroup, la première banque américaine de l’époque… À hauteur de 45 milliards.
 
Cela vous donne une idée du genre de pouvoir de cet homme.
 
Mais ce n’est pas tout.
 
Avec tout son argent sous gestion, BlackRock est un des plus gros actionnaires de presque tous les grands groupes occidentaux : Facebook, JP Morgan, Microsoft, Berkshire Hathaway, la société légendaire de Warren Buffet, Amazon, Apple, Alphabet, la maison mère de Google, ExxonMobil, le géant du pétrole, Procter & Gamble, Citigroup
 
C’est colossal.
 
En France, BlackRock est le premier actionnaire de Total, Unibail, Vinci, Schneider, Air Liquide, Valeo
 
En clair cela veut dire que Larry Fink peut nommer les PDG de la plupart des entreprises citées ci-dessus.
 
C’est un pouvoir phénoménal…
 
Et en plus il l’exerce sans doute en votre nom.
 
En effet, lorsque vous souscrivez à un fonds d’assurance vie ou de gestion auprès de votre banque, il est fort possible que tout ou partie de la gestion de ce fonds soit délégué à BlackRock (si vous voyez les noms de BlackRock ou iShares dans l’allocation du fonds, ce sont eux).
 
Bien évidemment, Larry ne possède pas personnellement toutes ces actions, il les possède pour des millions d’investisseurs, privés, publics, grands et petits qui lui ont confié leur argent… Et Larry ne peut pas faire ce qu’il veut avec.
 
Enfin…
 
Lundi dernier, Larry a écrit à tous les PDG des entreprises dans lesquelles BlackRock a investi.
 
Cette lettre part de la meilleure des intentions. Larry à n’en pas douter veut rendre le monde meilleur et c’est exactement ce qu’il demande à ses directeurs généraux :
 
« Every company must show how it makes a positive contribution to society »
 
« Chaque entreprise doit montrer comment elle contribue à rendre le monde meilleur »
 
Larry attend donc que les entreprises du monde entier s’engagent dans un grand élan vers un monde meilleur.
 
J’ai failli sortir mon mouchoir avant de me raviser.
 
Dis-moi Larry, qu’est-ce que c’est un monde meilleur ?
 
Quelle place fera-t-il à l’intelligence artificielle ? Et les robots ? Est-ce la fin du travail ? Quels seront les rôles des États et des Nations à l’avenir ? Comment réinventerons-nous nos libertés et nos solidarités
 
Au fait, Larry est-ce qu’Amazon contribue vraiment à rendre le monde meilleur avec les centaines de milliers d’emplois qu’ils détruisent ? Et Apple qui nous rend dépendant de leurs appareils à n’en plus dormir la nuit ? Tout le pétrole qu’exploite Total, est-ce bon ou mauvais ?
 
Je ne prétends pas avoir la réponse à toutes ces questions… Mais toi, si ?
Et Larry, crois-tu vraiment qu’un seul des PDG à qui tu as écrit ta belle lettre pleine de bons sentiments soit assez machiavélique pour ne pas déjà travailler à rendre le monde meilleur ?
 
Tu sais pourtant bien qu’une entreprise par définition s’engage à rendre le monde meilleur et doit même l’inscrire dans ses statuts.
 
Cette lettre Larry est effrayante car elle somme tous les PDG des grands groupes de la planète à contribuer à un monde meilleur selon TA vision.
 
Tous ces PDG savent que tu as droit de vie ou de mort sur eux. Tes désirs pour eux sont des ordres.
 
Quelle responsabilité, Larry !
 
Es-tu sûr que tu ne te tromperas pas ?
 
Une fois dans ta jeunesse tu as fait perdre 100 millions de dollars à ton employeur. C’était énorme. Et une bonne leçon.
Maintenant que ton employeur est la planète tout entière… Quel sera le prix de tes erreurs ?
 
Est-il vraiment sérieux qu e tu prennes sur tes épaules l’avenir du monde aussi doué et bien intentionné sois-tu ?
 
Es-tu donc l’homme de TOUTES les situations ?
 
Es-tu Dieu ?
 
Comment limiter autrement les dégâts irrémédiables que tes décisions peuvent infliger au monde… Qu’elles infligeront tôt ou tard car toute ta gloire et tous tes succès ne t’empêchent pas d’être aussi fragile que chacun d’entre nous.
 
Vraiment Larry, plus qu’à aucune autre personne je te souhaite une bonne fortune… Car tout ton génie n’y suffira pas.
 
Guy de La Fortelle
 
 
PPS : J’avais initialement publié cet article sous le nom de plume « Olivier Perrin » que j’utilisais à l’époque où je travaillais chez Vauban Éditions. Je ne travaille plus avec eux depuis plus d’un an et ne cautionne pas le tournant qu’a pris cette maison que j’avais pourtant créée (sinon j’y serais encore).
 


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